L’origine du monde
Une histoire du sol à l’intention de ceux qui le piétinent
Marc-André Selosse,
Actes sud, 2021
Introduction. Balade en brun, aux abords de l’invisible
Accalmie pluvieuse et possible balade
p. 11
Il planait dans l’atmosphère encore humide cette odeur d’après-pluie, dont un d’entre nous apprit qu’elle avait un nom : le pétrichor.
Acte I. L’âme des sols : les ingrédients d’un grand pot-pourri
I. Un dur au cœur tendre de la fraction solide du sol
À la recherche des plus petits
p. 23
Intéressons-nous aux fragments de moins de 2 millimètres, à partir desquels les spécialistes du sol, les pédologues, définissent la granulométrie (ou texture), c’est-à-dire les tailles des plus petites particules d’un sol. Négligeant les fragments les plus gros, ils définissent trois catégories parmi ceux de moins de 2 millimètres. De 2 à 0,050 millimètre, on appelle ces fragments des sables. Entre 0,050 et 0,002 millimètre, on les nomme des limons […] Au-dessous de 0,002 millimètre, on parle d’argiles. Attention, les mots “sable” et “argile” indiquent ici des tailles ([…] ils ont un autre sens désignant une composition).
La concentration de la matière organique dans les sols
p. 32
La teneur en matière organique des sols varie la plupart du temps de 1 à 10 %, avec des exceptions allant jusqu’à 20 %, voire 100 % dans certains sols où la matière organique abonde, car le climat froid et l’eau la protège de l’attaque par les microbes. […] Comme elle vient surtout du dessus, la matière organique des sols se trouve principalement dans les 30 premiers contimètres : à l’échelle mondiale, cette pellicule contient environ 1 500 milliards de tonnes de carbone sous forme organique, soit davantage que l’ensemble du carbone contenu dans la végétation (600 milliards de tonnes) et dans l’atmosphère sous forme de CO2 (720 milliards de tonnes).
IV. La vie palpitante du sol du sol comme un écosystème
Ce qu’on voit à l’œil : plantes et animaux
p. 94
Au total, la biomasse racinaire représente de 15 à 30 % de la biomasse d’une forêt et de 75 à 95 % de celle d’une prairie !
Des champignons
p. 106
Bien que souvent inaperçus, les mycéliums abondent : à l’hectare, la biomasse totale des différentes espèces présentes avoisine l’équivalent de 20 vaches !
Des bactéries
p. 109
Règne | Exemple de groupes majeurs (ou phylums) | Dont groupes ou genres (pour les bactéries) cités dans l’ouvrage |
---|---|---|
Eucaryotes | Animaux | Annélides (= vers), Arachnides (dont Acariens, Araignées, Myriapodes et Palpigrades), Symphyles, Pauropodes, Insectes, Collemboles, Tardigrades, Nématodes, Plathelminthes, Mammifères, Oiseaux, divers groupes de poissons, etc. |
Plantes | Mousses, Conifères, Plantes à fleurs, etc., et leurs proches parentes, les Algues vertes | |
Plusieurs groupes d’algues | Dont les Diatomées | |
Champignons | Dont les Cryptomycètes, Gloméromycètes, Ascomycètes, Basidiomycètes, etc. | |
Oomycètes Ciliés Plusieurs groupes d’amibes | Dont les Foraminifères et les Myxomycètes, entre autres | |
Eubactéries | Cyanobactéries | Dont les Nostocs |
Actinobactéries | Dont les Streptomyces, Actinomyces et Frankias | |
Verrucomicrobies | ||
Chlamydies Protéobactéries | Dont les Rhizobiums, Pseudomonas, Azospirillums, Thiobacillus, Nitrosomonas, Nitrococcus, etc. | |
Archées | Pas de groupes détaillés | Sauf les Méthanogènes |
Virus | Pas de groupes détaillés |
V. Le sol ne manque pas d’air :de l’atmosphère souterraine au climat
La respiration du sol
p. 129
Le manque d’oxygène porte le nom d’“anoxie”. Si certaines plantes affrontent grâce à leur aérenchyme [du grec aèr, air, et khuma, flux] des sols où l’anoxie est permanente, d’autres doivent survivre à des anoxies passagères […] En ce cas, une solution d’urgence maintient l’approvisionnement énergétique des cellules racinaires : elles remplacent la respiration par une fermentation. Les levures adoptent cette solution, dans une cuve de viticulteur ou de brasseur, quand elles en ont épuisé l’oxygène. Les produits de la fermentation sont variables, acide lactique ou alcool, et… toxiques à grande concentration : […] lorsque l’oxygène revient, les déchets toxiques sont détruits par la respiration des racines. S’il tarde à revenir… l’alcool tue, dans les sols aussi !
Acte II. La dynamique des sols : quand le vivant façonne l’inerte
VI. Le sol, du berceau à la maturité : de la pédogenèse
Nos mondes finissent dans le sol
pp. 168-169
Dans la forêt de Haye […] en apparence séculaire, certains sols ont révélé un passé agricole […] À l’époque gallo-romaine, un peu plus chaude, le site de Nancy était un marais où grouillaient des moustiques porteurs de paludisme. L’installation romaine se fit, bien sûr, sur le plateau, alors plus hospitalier ! [Les microbes] s’en souviennent encore : la chimie du sol influence les espèces de champignons présentes […]
L’enfouissement daté par la lumière
p. 170
Le rayonnement radioactif de la Terre, quoique faible, crée des désordres dans les cristaux : l’énergie de ce rayonnement finit emmagasinée sous forme d’altérations. En chauffant, on la libère à nouveau sous forme de lumière : c’est la thermoluminescence.
Chauffer donne un outil de datation : plus le temps écoulé depuis le dernier chauffage est grand, plus la quantité d’énergie accumulée et donc la lumière dégagée sont grandes. On date des poteries ou des laves volcaniques par cette technique ; elle révèle bien les âges entre quelques dizaines d’années et 250 000 ans, voire plus, ce qui complète la méthode du carbone 14, qui autorise plutôt l’estimation d’âges inférieurs à 50 000ans. La thermoluminescence permet aussi de dater l’enfouissement d’un échantillon : en effet, la lumière du jour suffit à libérer l’énergie stockée dans les cristaux.
Pour conclure…
p. 172
La maturité dépend assez peu de la roche-mère, mais plutôt du climat ; en parallèle, la végétation arrive aussi à un stade mature. C’est le climax, où se compensent finalement les processus antagonistes du sol […]
Dans les plaines de nos régions, le climax est une forêt de chênes et de hêtres sur un sol brun lessivé.
VII. Le vaste pourrissoir : de la décomposition et de la minéralisation
pp. 175-176
L’entretien d’un green de golf n’est pas une sinécure […] Les gazons en matière synthétique permettent un grand confort de jeu, tout en étant beaucoup plus faciles à entretenir… En apparence.
Cette artificialisation a en effet ses inconvénients : d’abord, le green dégage moins de fraicheur en été (sans plante, pas de transpiration) […] Enfin et surtout, le green synthétique se salit durablement de tous les déchets qui y atterrissent…
[Les] menus débris comme les plus gros disparaissent habituellement sans nettoyage […] Dans [le cas des forêts] il ne s’agit pas de menus débris mais de… 2 à 4 tonnes de restes végétaux par hectare et par an en forêt tempérée, ou jusqu’à 10 tonnes en forêt tropicale !
La matière organique qui arrive au sol : du carbone
p. 178
Dans les tissus végétaux un peu souples, la paroi cellulaire est faite d’une famille de molécules appelées “polysaccharides”, dont la plus fréquente est la cellulose […]
D’autres parties de la feuille sont plus dures […] ; cette dureté caractérise aussi le bois [… Un] autre composé est venu s’ajouter et rigidifier la paroi cellulaire [en une seule molécule géante, logées de tannins] C’est la lignine qui donne sa couleur brune au bois.
Les autres éléments, azote, phosphore, soufre, se trouvent dans les restes des cellules mortes, formant approximativement 10 % du total.
Pour conclure…
p. 203
Le sol peut digérer n’importe quoi, comme en témoigne la découverte de champignons capables de digérer nos plastiques…
VIII. Humus actif et humus fainéant : de la dynamique de la décomposition
pp. 205-206
Ces dernières décennies, on découvre [dans les cimetières allemands et français] des cadavres qui, après plus de trente ans, ne se sont pas encore décomposés !
Les causes […] seraient multiples [:] barrières difficiles à franchir pour les microbes […] conservateurs dans notre alimentation quotidienne et usage de médicaments (antibiotiques etc.)
Les types d’humus
Le mull : recyclage, brassage et production végétale élevés
pp. 221-222
Dans une prairie sous nos climats, les vers anéciques déposent en surface 30 tonnes de turricules par hectare chaque année, qui s’ajoutent aux 200 tonnes de crottes des vers hypogées, qui restent et défèquent dans le sol.
Le moder : recyclage, brassage et production végétale modérés
Le mor : recyclage, brassage et production végétale inhibés
Des humus contrastés
p. 229
Mull, mor, moder… Peut-être vous demandez-vous pourquoi les humus parlent danois ? La faute en revient à Peter Müller (1840-1926), un Danois comptant au nombre des fondateurs de la pédologie, qui introduisit leur usage vers 1879-1884.
IX. Faire fondre le cœur des pierres : de l’altération des roches
Lorsque les sols parurent
p. 259
Sans plantes, pas de sols bien épais : or les plantes ne sont apparues qu’il y a 470 millions d’années.
… Les animaux sortirent des eaux et le climat fraîchit
p. 263
La concentration atmosphérique en CO2 chuta de 20 fois sa valeur actuelle, avant l’apparition des sols épais, à 3 fois sa valeur actuelle, il y a environ 360 millions d’années (l’âge des premières forêts), puis à sa valeur actuelle à la fin du Carbonifère, il y a 300 millions d’années.
X. Les sols en mouvement : de la bioturbatiom à l’érosion
La bioturbation animale
p. 270
Des sols tempérés aux sols tropicaux, les fourmis creusant leurs nids déplacent vers la surface de 1 à 50 tonnes de terre par hectare et par an !
Acte III. Du sol à la plante : excursion souterraine dans la vie végétale
XII. Contrariétés souterraines : du sol comme source d’agressions
Les parasites (3) : des champignons
p. 358
Un armillaire (Armillaria ostoyae) du Nord-Est de l’Oregon, dans la forêt de Malheur […], couvre 965 hectares, soit 1350 terrains de foot : pour avoir atteint cette taille, il lui a fallu plus de 2 500 ans au moins ; le poids total de ses rhizomorphes avoisine 600 tonnes.
XIII. Entraides souterraines : du sol comme source des symbioses
La rétroaction positive du sol, en forêt
p. 390
Tous les sols ne deviennent pas suppressifs […] Cela nous offre une explication pour ces végétaux qui occupent durablement un site, comme les arbres des forêts climaciques tempérées […] ou comme la vigne cultivée depuis des siècles.
XIV. Les affronts faits au sol : de l’insulte à la réparation
Penser un sol plein de vie
p. 419
Dans le sol, le glyphosate se lie facilement à toutes sortes de constituants : peu mobile, il subit diverses modifications qui engendrent une pléthore de dérivés aux propriétés inconnues. Aux doses d’utilisation ordinaires, le glyphosate et ses dérivés tuent les spores des Gloméromycètes, ces champignons formant les endomycorhizes de la plupart des plantes agricoles. De plus, il est toxique pour les lombrics, notamment pour les vers anéciques qu’il tue lors de leur passage en surface, et pour leurs œufs. Tuer les vers favorise la prolifération des bactéries, moins consommées et donc moins régulées. Tant que la population de vers n’est pas reconstituée, cette explosion bactérienne accélère momentanément la vitesse de minéralisation : nitrates et phosphates, respectivement produits 1,7 et 2,3 fois plus vite, ne peuvent pas être entièrement consommés et finissent entraînés par les eaux. Ces pertes contribuent à l’eutrophisation des eaux douces voisines, d’un côté, et exigent, d’un autre, de nouveaux apports d’engrais ! Où le glyphosate rend accro aux engrais…
Penser un sol riche en matière organique
p. 427
La teneur du sol en matière organique résulte d’un équilibre entre apport et disparition. L’agriculture conventionnelle lui nuit en récoltant sans toujours compenser ce qui n’arrive plus à terre ; de plus, l’aération liée au labour augmente la respiration du sol, qui consomme la matière organique.
Contre la disparition des sols
pp. 434-435
Nous souillons la qualité des sols de ce que nous y mettons. Ce sont d’abord des produits apportés pour l’agriculture. Prenons l’exemple du chlordécone, un insecticide utilisé pour lutter contre le charançon du bananier. Interdit dès 1976 aux États-Unis, il a été scandaleusement autorisé en Guadeloupe et en Martinique jusqu’en… 1993, puis utilisé illégalement ensuite […] À l’échelle globale, on considère que 64 % des sols agricoles présentent un risque de pollution par plus d’un pesticide […]
Autre flétrisure qualitative, celle des métaux lourds […] En Chine, 20 % des terres agricoles sont contaminées par des métaux lourds et 2 % d’entre elles, soit la surface de la Belgique, sont trop polluées pour être cultivées […]
Enfin, qualitativement, des sols sont perdus par l’artificialisation […] Cela représente 60 000 hectares de sols agricoles et forestiers artificialisés annuellement, soit la surface moyenne d’un département tous les dix ans… à 70 % fait de terres très fertiles. En Europe, 440 000 hectares de sols sont recouverts chaque année.