Ethnographies des mondes à venir
Philippe Descola, Alessandro Pignocchi
Anthropocène, Seuil, 2022
1. Politiser l’anthropologie de la nature
Où l’on se demande pourquoi il convient de dépasser la distinction moderne entre nature et culture
p. 12
Philippe : Depuis plusieurs siècles en Europe, la nature se caractérise par l’absence des humains ; et les humains, par ce qu’ils ont su surmonter de naturel en eux.
2. Pourquoi l’anthropologie ?
Où l’on présente le concept de « symétrisation » ; où l’on remarque qu’il peut revêtir des sens différents selon qu’on l’applique à l’ethnographe sur le terrain ou à l’anthropologue dans son bureau.
3. Foisonnement des modes d’organisation social
Où l’on critique la vision d’après laquelle les sociétés humaines évoluent toutes selon une trajectoire unique
4. D’autres manières de faire monde
Où l’on présente les quatre grandes façons d’organiser les relations entre humains et non-humains ; où l’on montre que chaque humain les porte en lui, en puissance
p. 56
Philippe : Un chasseur achuar ne peut pas voir un quark parce qu’un quark n’existe pas en tant que « chose » dans l’environnement naturel de quiconque et que cette particule n’est détectable que comme un indice indirect grâce à une machinerie très complexe. Cela ne signifie pas que le quark n’existe pas, mais que son mode d’existence en tant qu’être est dépendant de son mode d’existence en tant qu’objet de connaissance. Il ne peut donc entrer dans le mobilier ontologique qui compose le monde d’un Achuar. Inversement, il est peu probable qu’un physicien travaillant au Grand collisionneur de hadrons du CERN, près de Genève, soit capable de voir un iwianch — un esprit des morts achuar — parce qu’un iwianch n’existe pas plus en tant que « chose » dans l’environnement d’un quark ; lui aussi n’est détectable que sous forme de trace, et au moyen d’un ensemble complexe d’indices sensibles qui permettront à une personne entraînée à identifier ces indices d’inférer sa présence.
5. Fissurer le territoire naturaliste
Où l’on tente de tirer quelques leçcons de ce qui se passe, en ce moment, à Notre-Dame-des-Landes
6. Économie et naturalisme
Où l’on identifie la suprématie de la sphère économique comme le verrou fondamental qui nous bloque dans le naturalisme ; où l’on formule l’hypothèse dune solidarité nouvelle et de plus en plus spontanée avec les non-humains dans la lutte anticapitaliste
p. 82
Alessandro : Les principes économiques ne sont plus des outils au service de certaines aspirations sociales, mais des fins en soi. Le PIB, la croissance, la valorisation du capital sont devenus les principes fondamentaux qui chapeautent et déterminent l’ensemble de la vie politique et de la vie tout court. Or l’économie , pour exister comme sphère autonome et surplombante, a besoin que chaque chose et chaque être soit interchangeable et réductible à une valeur purement marchande. Autrement dit, l’économie a un besoin vital de transformer tout ce qu’elle touche en objet — humains inclus, qui deviennent des « ressources humaines ».
7. Défaire la suprématie de la sphère économique
Où l’on se demande, à travers le prisme des données anthropologiques, ce que l’expression « suprématie de la sphère économique » signifie concrètement ; où l’on continue à s’interroger sur les façons de s’en débarrasser
8. Multiplier les jeux de valeurs
Où l’on remarque la nécessité d’extraire les biens de subsistance de la commensurabilité généralisée, mais aussi l’importance d’une multiplication des jeux de valeurs à l’aune desquels se forme l’estime de soi et d’autrui
9. Territoires autonomes et états
Où l’on esquisse un projet politique hybride qui voit cohabiter et interagir des structures de types étatiques de des territoires autonomes
p. 133
Philippe : Après avoir partagé la vie des Achuar pendant presque trois ans, j’avais pris l’habitude de me conenter de peu : manger chaque jour, un toit pour me protéger de la pluie, une rivière pour me laver. Il m’arrivait certes de rêver de temps à autre d’une douche chaude, d’un sandwich jambon-beurre-cornichons ou d’un verre de bordeau, mais le peu que j’avais suffisait à mon bonheur. Ce qui me manquait vraiment, en revanche, et j’ai pris alors conscience que je ne pouvais vivre sans, ce sont des choses qui peuvent avoir une valeur marchande mais dont la consommation coûte peu là où elle est accessible : la musique — du moins celle qui avait formé mon goût — et l’accès à des livres, les conversations philosophiques avec des amis et les paysages de la Méditerranée, la peinture européenne et certaines des villes anciennes où l’on peut la contempler. Pourtant, le plaisir que j’ai éprouvé lorsque j’ai retrouvé tout cela fut en grande partie éclipsé par l’évidence devenue soudain incroyablement brutale, que les rapports mercantiles gouvernaient nos existences, que nous étions noyés, et heureux de l’être, dans un océan de marchandises dont l’acquisition et la jouissance formaient le fil directeur de nos projets de vie.
10. Diversité
Où l’on présente la diversité comme la seule valeur réellement universalisable.
11. Le chamane et le scientifique
Où l’on souligne l’importance, dans un monde multiple, d’équilibrer la place respective que nous accordons aux modes de connaissance par subjectivation et par objectivation